LES DROITS DE LA PERSONNALITE LORS DE
L’ENQUETE PRELIMINAIRE AU MAROC
Etude préparé par : Maître Jihad AGOURAM
Avocat stagiaire
La procédure pénale est généralement définie comme étant la branche de droit contenant les dispositions relatives à la poursuite, à l’enquête, à l’instruction, au jugement et à l’exécution des décisions judiciaires en matière d’infraction pénale. Il s’ensuit que le CPP est un code à double caractère, puisque :
*D’une part, ses dispositions tendent, à travers l’application des règles du droit pénal au contrevenant, à garantir les droits de ce dernier. Un individu qui a enfreint une règle du code pénal, doit sans doute être sanctionné. Mais il doit l’être selon la manière édictée par la loi. En outre, il ne peut être mis en cause qu’une fois que les faits constitutifs de l’infraction lui ont été attribués, car le principe est que tout suspect est présumé innocent avant sa condamnation.
*D’autre part, il institue nombre de règles atténuantes aux droits et libertés des individus. Il y a lieu de remarquer que multiples droits de la personnalité sont violés lors de l’enquête préliminaire, de l’instruction, durant la phase finale du procès pénal devant les magistrats du siège, ou encore pendant l’exécution de la décision judiciaire. On notera aussi que cette violation est légitimée par des textes législatifs. Ce sont des considérations logiques et pratiques qui imposent la restriction des droits des prévenus, des suspects et des condamnés.
On en conclut que le CPP est une législation qui vise la conciliation de deux impératifs convergents, à savoir la protection des droits des individus et l’établissement de la justice pénale. Le législateur marocain a essayé de réaliser cette dure équation lors de la récente réforme de la procédure pénale. On peut lire dans le préambule de la loi 22-01 formant le code de procédure pénale marocain (1), que l’ancienne loi de la procédure pénale était incapable de faire face à l’augmentation du fléau de l’infraction et à l’apparition de nouvelles espèces d’infractions causées par le progrès scientifique et technologique et dues aux circonstances économiques et sociales. Ce préambule parle aussi du soucis du nouveau code de la consolidation du droit au procès équitable, tel qu’il est prévu par l’article 10 de la charte internationale des droits de l’Homme, et l’art 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. On relève un troisième passage du préambule de la loi 22-01, qui énonce que, « Et plus généralement, la réforme de la loi de la procédure pénale de 1959, s’est axée autour de la nécessité de garantir un procès équitable, selon les normes internationales des droits des individus, d’une part, et de préserver l’intérêt général et l’ordre public d’autre part ».
Cette conciliation ne se réalise cependant pas toujours de la même façon selon que l’on est devant l’une ou l’autre des phases de la procédure pénale, en ce sens que les garanties de la protection des droits des personnes sont plus solides lors de la phase judiciaire du procès pénal qu’elles ne le sont pendant l’enquête préliminaire effectuée par des officiers de la police judiciaire (PJ), qui sont soumis au pouvoir de l’exécutif. Encore, n’est-ce que lorsque le parquet se dessaisit de l’affaire en faveur des juges du siège, que l’on peut réellement parler de garanties judiciaires, à cause de la subordination de la magistrature d’accusation au pouvoir du ministre de la justice et, partant, au pouvoir exécutif.
On peut donc aisément constater que c’est avant l’ébauche du procès pénal - et considérant les différentes prérogatives que la loi confère aux officiers de la PJ dans l’accomplissement de leurs missions de constat des infractions, de rassemblement de preuves et de recherche des auteurs de ces infractions -, que le risque de violation des droits des personnes est plus apparent.
L’analyse des dispositions relatives aux compétences des officiers de la PJ lors de l’enquête préliminaire, fait apparaître le caractère attentatoire de ces compétences à deux principaux droits de la personnalité. Il s’agit des droits à la liberté et à la vie privée.
On est donc amené à étudier la façon par laquelle le législateur pénal de 2003 a essayé de concilier la préservation des droits des personnes - qu’il s’est amplement vanté d’avoir consolidé par le biais du préambule de la loi 22-01- et la protection de l’ordre public et de l’intérêt général à travers l’analyse du degrés de respect du droit à la liberté (Titre premier) et du droit à la vie privée (Titre second) lors de l’enquête préliminaire.
TITRE PREMIER :LES COMPETENCES DE LA POLICE JUDICIAIRE
ET L’ATTEINTE AU DROIT A LA LIBERTE
Selon les termes des articles 65 et 66 CPP, les agents de la PJ disposent de maints pouvoirs à l’encontre de certaines personnes, en raison de la relation que celles-ci pourraient avoir avec l’infraction. Ainsi, l’officier de la PJ peut interdire à toute personne, dont la présence se révèle nécessaire pour le déroulement de l’enquête, de quitter les lieux de l’infraction avant le terme des recherches. En outre, toute personne est tenue de dévoiler son identité en réponse à la demande de l’officier de la PJ, et ce, sous peine de détention et d’amende(2). Ces prérogatives qui ont pour but de faciliter la tâche de la PJ, et partant d’assurer de solides bases au déroulement du procès pénal – c’est là d’ailleurs qu’elles trouvent leur justification -, sont contraires aux droits à la liberté et à la libre circulation.
Cependant, l’atténuation aux droits de la personnalité est plus choquante quand on se place au niveau de la garde à vue. L’officier de la PJ peut, conformément aux dispositions des articles 66 & 80 CPP(3), ordonner l’arrestation provisoire de tout individu ayant une relation quelconque avec l’infraction, si le déroulement de l’enquête préliminaire la nécessite. Toutefois, considérant que la garde à vue constitue une atteinte flagrante aux droits des personnes, le législateur soumet sa validité à certaines conditions d’une part, et reconnaît à son sujet certains droits d’autre part. Il paraît donc utile de s’interroger sur cette validité (Chapitre I) et ces droits (Chapitre II), qui devraient alléger l’aspect exceptionnel de la garde à vue.
CHAPITRE I : LA VALIDITE DE LA GARDE A VUE
La garde à vue est soumise, sous peine de nullité(Section 2), à certaines conditions légales(Section 1).
Section 1 : Les conditions de validité
Tout d’abord, il y a lieu de préciser que le régime de l’enquête préliminaire varie selon que l’on est devant une infraction flagrante ou non (infraction ordinaire ou non flagrante). Ainsi, l’art 66 CPP est relatif aux infractions flagrantes, alors que l’art 80 CPP traite des autres infractions. Cependant, cette variation, comme on le constatera, n’a qu’une incidence restreinte sur les conditions de validité de la garde à vue.
La référence aux textes législatifs, à savoir les articles 66 et 80 CPP, fait allusion à quatre conditions pour la validité de la garde à vue. Le recours à la garde à vue, qui requiert en certains cas une autorisation préalable du parquet et qui doit toujours être justifié par une nécessité, n’est pas admis pour toutes les infractions. De plus, sa période est-elle limitée.
Soussction 1 – L’autorisation préalable du parquet
L’art 80 CPP conditionne la mise en garde à vue par l’autorisation préalable du parquet, alors que l’art 66 CPP se contente d’obliger l’officier de la PJ à aviser le parquet de la mesure de garde à vue. C’est à dire que l’intervention du parquet est toujours exigée pour la mesure de garde à vue.
Cependant, l’intervention ne revêt pas toujours le même aspect : en cas d’infraction ordinaire, l’officier de la PJ ne peut décider la garde à vue qu’après l’autorisation préalable du parquet, alors qu’il se contente d’aviser ce dernier en cas d’infraction flagrante.
Le problème qui se pose à ce stade est celui de la forme de l’autorisation et de la preuve de son existence.
*les juges du parquet estiment que l’autorisation peut être orale, et que c’est au prévenu qui excepte son défaut, de le prouver : en d’autres termes, l’autorisation du parquet est présumée.
*Pour leur part, une partie des hommes du barreau rejette le fardeau de la preuve sur le parquet - puisque c’est lui qui accuse et qui doit donc apporter les preuves en matière répressive – qui ne peut prouver l’existence de l’autorisation que si elle est écrite.
La position du parquet est plus conforme au Droit, puisque le texte ne précise pas la forme que doit prendre l’autorisation : rien ne s’oppose donc à ce qu’elle soit orale. Aussi, on ne peut dire que c’est au parquet d’apporter la preuve puisqu’il ne s’agit pas d’établir l’existence de faits constitutifs d’infraction. C’est l’inculpé qui excepte le défaut d’autorisation ; il est donc normal qu’il supporte l’obligation de prouver la véracité de ses allégations. De plus, et en réalité, le parquet pourrait aussi délivrer des autorisations écrites tardives.
En définitive, l’autorisation requise en cas d’infraction ordinaire demeure sans grande utilité.
sous-section 2 - La nécessité de la garde à vue
Bien que les termes des articles 66 et 80 CPP ne soient pas complètement identiques, leur interprétation veut que l’officier de la PJ n’ait droit au recours à la garde à vue que si l’enquête exige qu’une ou plusieurs personnes soient à sa disposition. Ceci étant, si cette nécessité est absente, la mise en garde à vue est illégale et expose celui qui l’a ordonnée aux peines édictées par l’art 225 du code pénal (CP) relatif à la détention arbitraire. La bonne compréhension des textes voudrait que l’on mette un terme à la garde à vue si la nécessité, qui a été justifiée pendant un moment, cesse d’exister.
Cependant, qu’en est-il de la notion de nécessité ? On peut relever, devant l’ambiguïté des textes législatifs, deux conditions.
Relation avec l’infraction : On pourrait de prime abord dire qu’il y a nécessité, chaque fois que le bon déroulement de l’enquête fait obligatoirement appel à la mise en garde à vue. En d’autres termes, l’officier chargé de l’investigation peut ordonner la détention de toute personne pouvant l’aider à accomplir sa mission, à savoir la collection des moyens de preuves, et l’identification des auteurs de l’infraction. Ainsi, tout individu ayant la moindre relation avec l’infraction, pouvant apporter une contribution quelconque aux recherches, ou tout simplement tout suspect, peut être placé en garde à vue.
Garanties de présence : Or, le fait que l’enquête préliminaire puisse bénéficier de l’apport d’une personne ne suffit pas à justifier sa mise en garde à vue. La justice serait injuste en récompensant ceux qui l’ont aidée en les privant de liberté. Un individu peut toujours témoigner et apporter des informations sans pour autant être détenu. C’est alors qu’on ne peut parler de nécessité de garde à vue que lorsque les garanties de présence de celui qui y est soumis devant les services de la PJ, sont insuffisantes.
Théoriquement, le droit à la liberté semble être très bien protégé par cette première condition de nécessité, en ce sens que nul ne devrait être mis en garde à vue s’il n’a aucune relation avec l’infraction objet de l’enquête préliminaire en cours, ou s’il représente de suffisantes garanties de présence chaque fois que l’officier investigateur le convoque. Cependant, le fait que ce soit ce même officier qui a la compétence de qualifier la garde à vue de nécessaire ou non, porte atteinte aux droits des individus sur le plan pratique. Si on éloigne le contrôle opéré par la chambre correctionnelle de la Cour d’appel sur l’activité des officiers de la PJ(4), la meilleure garantie des droits à ce stade, semble être la conscience de ces officiers qui doivent toujours garder à l’esprit, outre la présomption d’innocence qui est devenue un principe législatif du CPP(5), la gravité de la mission qu’ils ont à accomplir et les différentes répercussions de leurs actes sur la société dont ils font eux-mêmes partie